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jeudi 29 mai 2014

Assassinat de René Bousquet: le président Mitterrand refuse la repentance

Considérations sur la réouverture des vieux dossiers

Devoir de mémoire vs. oubli volontaire, réconciliation nationale et refus de la repentance
Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach n'a jamais cessé de côtoyer François Mitterrand au long de sa carrière. Les conversations réalisée de 1993 et 1994 témoignent de cette relation privilégiée avec le président socialiste au passé vichyssois. A l’occasion des trente ans de l’accession au pouvoir de François Mitterrand, Jean-Pierre Elkabbach se souvient. 
Entretien d'Elkabach pour Public Sénat
François Mitterrand, vous l’avez côtoyé tout au long de votre carrière. Vous avez eu le temps de voir son évolution. Globalement, comment le définiriez-vous ? Et qu’est-ce qui vous a marqué le plus chez lui ?

D’abord, je n’ai jamais été un collaborateur de François Mitterrand. J’étais un journaliste souvent critique, à différents moments sanctionné : c’est grâce à Mitterrand que j’ai été inscrit à l’ANPE pendant un an et demi, et j’ai été écarté du métier, mais que je suis revenu peut-être grâce à Mitterrand, et que j’ ai fini par exercer mon métier sur Europe 1, puis ai présidé France Télévisions pendant 3 ans.

Je l’ai vu très souvent dans les moments qui ont précédé son élection, et même après à une époque où nul ne s’imaginait que je le voyais régulièrement et en secret. François Mitterrand c’était l’obstination et l’impatient, et en même temps c’était la distance à l’égard des faits, de la réalité, et des critiques : il me répondait quelques fois que le pouvoir c’était l’indifférence aux critiques, aux attaques, avec la certitude qu’il resterait peu de choses de toutes les grenouilles qui attaqueraient. Et il disait aussi que de toute façon, au bout du compte, toutes les symphonies sont inachevées, c'est-à-dire que rien n’est parfait, mais qu’en même temps, il faut agir, il faut oser, il faut tenter même le diable et le destin : c’est comme ça qu’on construit son destin.

Je n’en fais pas un saint, même pas un saint laïc, j’en fais pas forcément un modèle. J’ai suivi tout jeune journaliste le Général de Gaulle 5 ans, mais avec De Gaulle, on ne parlait pas. François Mitterrand, je l’ai accompagné dans les voyages, j’ai beaucoup discuté avec lui, j’ai enregistré des conversations personnelles.

L’attrait, sa complexité, l’homme proche de René Bousquet …
Non, on ne peut pas dire l’homme proche de René Bousquet, c’est une fadaise. Il faudrait expliquer beaucoup de choses à propos de René Bousquet, de ce qui s’est fait lorsqu’on lui a reproché d’avoir connu Bousquet. René Bousquet, à un moment donné, était fréquenté après la guerre par tout le monde. [Mais il est aujourd'hui interdit d'en dire de même de Philippe Buisson] Deux procès l’avaient blanchi et il était dans le conseil d’administration de la banque Suez, dans les dîners : c’était presque un mondain, et en même temps un des responsables de la Dépêche du Midi, du financement des partis politiques de gauche. Lui aussi c’est un personnage très compliqué. Clairement il n’était pas l’ami mais une connaissance parmi d’autres de François Mitterrand qu’il a cessé de fréquenter dès qu’on lui a rappelé, dans les années 78, le rôle qu’il avait eu avec la question juive, notamment la Rafle du Vel’ d’Hiv’.

VOIR et ENTENDRE la conversation de J.-P. Elkabach avec le président François Mitterrand (2ème extrait de la partie 2):
François Mitterrand était extrêmement complexe, d’une très grande sensibilité maîtrisée, et en même temps un européen convaincu, vraiment soucieux de l’indépendance de la France, dans le respect de ses alliés. On disait « il est anti ou pro-américain ». Chaque fois qu’on avait besoin de la France, on a répondu présent : la première guerre du Golfe, même si François Mitterrand avait essayé de convaincre Gorbatchev de ne pas la faire, mais comme le Général de Gaulle, à chaque fois qu’on a fait appel à lui, il a répondu présent.

En 1981, on voit les images de Mitterrand à la télé. Vous annoncez sa victoire. Quel souvenir avez-vous de cette soirée électorale ?

C’est le contraire de ce qu’on raconte. Je vais prendre deux faits.
Les photos qui s’animent et qui arrivent : le public ne sait pas distinguer au niveau du visage ou du front lequel des deux est Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. C’est une image voulue par Etienne Mougeotte et moi. On montrait pour la première fois des images animées et nous avions voulu avec insistance qu’il y ait ce suspense jusqu’au dernier moment. [Rien à voir encore donc avec les images subliminales diffusées pendant sa campagne de 1988 par le service public pour influer sur l'inconscient des électeurs]

On ne faisait pas d’ironie, mais par sens d’une dramatisation d’une soirée à la télévision. On a appris la victoire de François Mitterrand à 18h25 : Etienne Mougeotte et moi avions décidé d’être ni rigolards pour que l’on ne nous prenne pour des convertis de la dernière heure, ni sinistres pour que l’on ne nous dise pas que nous pleurions la défaite de Valéry Giscard d’Estaing. Selon qu’on était de droite ou de gauche, on m’a trouvé indifférent, ou pleurnicheur de la défaite.

Ensuite, il y a eu à la Bastille des manifs de joie – on comprenait – mais elles ont été assez vite dispersées par la forte pluie. Quelques heures plus tard, on a raconté un mensonge comme quoi j’avais été conspué à la Bastille avec les frères Duhamel, avec Jean-Marie Cavada, et Etienne Mougeotte, mais surtout moi. Cela a été une légende qu’on a racontée, entretenue, qui m’a valu pendant longtemps l’opprobre et la dérision des animateurs et des comiques. Et maintenant les mêmes écrivent ou commentent en disant que ce n’est pas vrai : comme si j’avais inventé moi même cette scène alors qu’ils ont été les premiers à entretenir cette idée parce qu’ils ne me voulaient pas nécessairement du bien.

Voilà les deux moments clés de cette soirée, mais en même temps, je l’ai vécue comme un moment historique. C’est la première fois depuis 23 ans que la France allait vivre une alternance de cette importance. J’ai fait avec Etienne Mougeotte l’animation de la nuit électorale jusqu’à 2 heures du matin et j’ai animé toujours avec lui les deux soirées des législatives le mois suivant. Il y avait déjà le nouveau gouvernement de gauche avec à l’antenne des tensions parfois avec des interlocuteurs.

Il y a un autre moment pendant la campagne : c’est quand lors d’un débat, vous demandez à François Mitterrand ce qu’il pense de l’abolition de la peine de mort. Cela a été un moment important ?

Oui, c’est un moment clé, peut-être une des décisions qui a fait élire Mitterrand parce qu’il allait à contre-courant de ce que disait l’opinion. Le matin même, les Français aux trois quarts s’exprimaient pour le maintien de la peine de mort, ils refusaient son abolition. Et c’est une des dernières questions qu’on lui a posé à la fin de l’émission. François Mitterrand avait déjà été très dur contre Valéry Giscard d’Estaing ce jour-là, très dur contre le pouvoir, et ça a été un choc dans l’opinion. Il a eu le courage de la rupture, de la dimension d’un homme d’Etat qui ne céderait pas forcément à la rumeur ou à l’opinion. Quand nous avons terminé cette émission, il y avait sur le plateau tout ce qui allait devenir la mitterrandie. La plupart de ces mitterrandôlatres se sont précipités sur Alain Duhamel et moi en nous disant « Vous le paierez ! Vous n’auriez pas dû poser cette question. Vous l’avez mis en difficulté. Vous l’avez fait battre. Vous le paierez d’une manière ou d’une autre. »

Badinter n’était pas là, mais il avait compris le sens que cela allait avoir, il savait que cela allait être un électrochoc. Cinq ans après, date pour date, le 16 mars, François Mitterrand m’invite à déjeuner. A un moment, il m’a pris par les épaules et me demande « Quel jour nous sommes ? » « A quoi ça vous fait penser ? » Il voulait marquer par cette invitation à déjeuner le moment peut-être décisif, déterminant de la campagne présidentielle. Ce n’est pas nous qui lui avons fait gagner l’élection présidentielle. Nous avions posé la même question à Valéry Giscard d’Estaing et cela n’avait pas eu le même effet.

Vous avez parlé des représailles avec votre éviction de la télévision en 1981

Oui, non seulement l’éviction, mais aussi l’inscription à l’ANPE pendant un an et demi, la queue pour remplir les papiers, pour avoir les mêmes droits que tout le monde. Je sais ce que c’est un chômeur qui va pointer. Mon épouse Nicole Avril m’a aidé à faire un livre de questions-réponses et ce livre a eu un succès tel qu’il a été remarqué et il est tombé avec les premières critiques sur les quelques mois de mitterrandisme.

Et après, ironie de l’histoire, vous faites une série d’entretiens secrets

Je ne sais pas si c’est l’ironie ou la justice de l’histoire. Je reviens par mon travail. J’ai imposé un style, une présence et 10 ans après je suis devenu Président de France Télévisions.
François Mitterrand était très malade. J’ai été jusqu’au bout un des rares non seulement à le rencontrer régulièrement pour parler. Ces conversations secrètes pour moi sont magnifiques, enrichissantes.

Rétrospectivement, comment les voyez-vous ces entretiens ?
En janvier 1996, Paris Match ose publier
une photo volée de François Mitterrand
sur son lit de mort.
 
A un moment, on les filmait, il était trop malade pour qu’on les continue. Avec Alain Duhamel, on a été les deux seuls journalistes à être autorisés à nous recueillir devant la dépouille mortelle de François Mitterrand. Je l’ai vu sur son lit de mort. Cela fait partie des souvenirs marquant de ma vie.

Intellectuellement, il était brillant, il n’avait aucune absence, il suffit de le regarder. Je vous conseille de regarder quelques extraits pour voir à tel point c’était brillant. Tous ses propos qui étaient ciselés, cruels, ou parfois tendres, toutes ses formules étaient improvisées.

N’y a-t-il pas de similitudes par rapport à Nicolas Sarkozy ? Un pragmatisme ?

On peut trouver des similitudes à travers tous les présidents de la République, car quand on entre à l’Elysée, on change déjà. Il y a le poids de la charge, le poids des événements, des faits qui reviennent chaque jour. On est obligés de prendre de la distance à l’égard de ceux qui vous prennent pour un punching-ball, et en ce sens-là, il y a parfois des rencontres. Et je sais que Nicolas Sarkozy a regardé des entretiens entre Mitterrand et moi. Tous deux répondent aux critiques par l’indifférence. Par exemple, François Mitterrand il a dit : « Ce sont mes pauvres, ils font fortune grâce à moi. En tout cas, ils mangent dans mon assiette ». Pour Nicolas Sarkozy c’est à peu près la même chose, il y en a qui s’enrichissent. A la fin de son quinquennat, il leurs manquera.

Vous regrettez François Mitterrand aujourd’hui ?
Non, on ne peut pas dire ça. Je ne le connaissais pas assez, mais quelquefois, il me manque les conversations avec quelqu’un de ce niveau. Chaque fois que j’allais le voir, j’avais une sorte de trac, pour ne pas dire de trouille, je me concentrais bien, parce que c’étaient des face-à-face où il sublimait ceux en face de lui. Il exigeait beaucoup. Il lisait beaucoup et demandait « Est-ce que vous l’avez lu ? C’est tout ? Vous connaissez tel livre d’histoire ? » C’était « un homme livre », comme dit Jack Lang. Il fallait bosser. C’étaient des exercices enrichissants, c’est sûr, des leçons de vie, comme si vous aviez parlé avec Sénèque ou avec Machiavel et qui apprenaient à prendre de la distance à l’égard de la banalité des jours.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’homme politique de cette trempe ?

Il y en a, oui. Pas forcément des gens de pouvoir, mais des philosophes, des patrons, des économistes et même Nicolas Sarkozy contrairement à ce qu’on croit. En plus, il travaille, il lit, et il est lui-même exigeant à l’égard de ses interlocuteurs : « Qu’est ce que tu lis ? Qu’est ce que tu fais ? Qu’est ce que tu me conseilles de faire ? » Ce sont des gens qui attrapent tout, des curiosités vivantes, fébriles, en effervescence constante. Ce sont parfois des éponges avec une mémoire phénoménale. Aussi bien, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Valéry Giscard d’Estaing, et de Charles de Gaulle. Regardez le général de Gaulle, il apprenait ses discours par cœur. »

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